Nouvelle loi sur la non-dénonciation : faut-il craindre des abus ?

24/10/2020
Douma, Moscou
Douma, Moscou

01 - Ce qui est nouveau

Le président a signé le « paquet Yarova » (du nom de Irina Yarova, l'une des auteurs de la proposition de loi), un ensemble de lois susceptibles de changer sensiblement la vie de la société russe. Les autorités ont décidé notamment d'introduire des peines de prison pour non-dénonciation. Le Code pénal comportera un nouvel article 205.6 sur la « non-communication d'un crime ». « Meduza » avait parlé de cette idée quand le projet de loi avait été soumis à la Douma. Nous avons demandé à l'avocat Ivan Pavlov, de « Komanda 29 », de nous expliquer quelles peuvent être les conséquences de l'adoption de cette nouvelle loi.

02 - Si je suis témoin d'un crime, faut-il appeler la police ? S'agit-il de cela ?

Pas tout à fait. Selon le nouvel article, seront passibles de poursuites les individus sachant de façon certaine qu'une ou des personnes préparent, accomplissent ou ont accompli ne serait-ce qu'un seul des actes criminels relevant du terrorisme et ne l'ayant pas signalé à la police.

03 - Quels sont les actes criminels relevant du terrorisme ?

Il y a dans le Code pénal 16 articles sur ce sujet. Exécution d'acte terroriste, complicité d'activité terroriste, appel public à l'accomplissement d'activité terroriste, rébellion armée etc.

04 - Comment décider si une personne est informée « de façon certaine » d'un acte criminel ?

On l'ignore. L'instruction devra l'établir dans chaque cas particulier. Elle devra prouver que la personne non seulement était informée de façon certaine de l'acte criminel, mais aussi qu'elle connaissait ceux qui le préparaient, l'accomplissent ou l'ont accompli . Or mon expérience d'avocat montre que la preuve du caractère intentionnel n'est pas la préoccupation majeure de l'instruction, et les tribunaux n'essaient même pas d'aller au fond des choses. Il est donc hautement vraisemblable que pour engager des poursuites conformément à cet article 205.6 du Code pénal russe, il suffira aux procureurs de prouver que la personne connaissait ceux qui sont accusés de terrorisme, donc qu'elle ne pouvait pas ignorer le crime qui se préparait.

05 - Quelle sera la peine ?

Une amende pouvant aller jusqu'à 100 000 roubles ou une peine de prison jusqu'à un an.

06 - Faut-il aussi dénoncer ses parents ? Comme Pavlik Morozov ?

Puisque vous évoquez Pavlik Morozov : dans la nouvelle loi, les mineurs à partir de 14 ans pourront être inculpés. Mais la loi permet de ne pas dénoncer les parents proches : femme, mari, père et mère, parents et enfants adoptifs, beaux-parents, grand-pères, grand-mères et petits enfants. Tous les autres, selon la loi, doivent être dénoncés. Et c'est là que des abus sont à craindre : on peut aisément imaginer une situation où un juge d'instruction aura besoin de recueillir sur quelqu'un des témoignages. Il pourra alors exercer un chantage sur des parents éloignés, des collègues, de simples relations de cette personne en évoquant leur responsabilité selon l'article sur la non-dénonciation, avec un discours du genre « lui, de toute façon, on l'enferme, mais toi, tu peux prendre un an ».

Mais c'est dans le Caucase que cet nouveauté juridique créera le plus de problèmes, car la menace terroriste y est élevée et la notion de « parents proches », selon les traditions, sensiblement plus large que dans d'autres régions.

07 - Est-ce alors un retour de la norme soviétique dans le droit russe ?

Oui, mais un peu sous une autre forme. Une peine pour non-dénonciation a existé en Russie pendant longtemps. Elle est apparue pour la première fois dans le Code de 1649 et a traversé les siècles jusqu'en 1996, où la non-dénonciation a été décriminalisée dans le nouveau Code pénal.

Mais la non-dénonciation a toujours été considérée comme punissable uniquement en rapport avec certaines catégories de crimes, essentiellement contre les autorités de l'État. A l'époque soviétique, on s'est beaucoup servi de cet article pour intimider les amis et les parents des « criminels politiques » en leur proposant de choisir : ou bien tu témoignes contre ton camarade, ou bien tu vas dans la cellule d'à côté.

L'article 205.6 est mauvais ne serait-ce que parce qu'il engendre dans la société des doutes sur la présomption d'innocence de votre entourage. La méfiance entre les gens va croître, redoublant la tension qui existe déjà dans les relations sociales. Le danger existe qu'à cause de cet article, certaines personnes voient du terrorisme là où il n'y en a pas et se mettent à écrire des dénonciations.

08 - Cette loi fonctionne-t-elle déjà ?

Non, elle entrera en vigueur le 20 juillet 2016. Quand va -t-on commencer à punir selon la nouvelle norme ? On l'ignore. Les formulations de l'article 205.6 du Code pénal sont très vagues, il faut voir comment elles seront appliquées. Il est probable que le texte connaîtra le même sort qu'un autre article détestable et vague du Code pénal, l'article 283.1 sur la « détention illégale d'information constituant un secret d'Etat ». Depuis 2012, date de son entrée dans le Code pénal, l'article n'a pratiquement jamais été utilisé.

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Auteur: Ivan Pavlov.

Traduit du russe par Jacques Duvernet.

Source: " В России принят закон о недоносительстве. Им будут злоупотреблять? ".

Publié dans Meduza le 7 juillet 2016.

Source: Wikipedia.

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